Le tabou des émotions - Juliette Karoubi

Quand on fait des études d’anthropologie, on met continuellement l’accent sur l’importance de l’observation participante et donc sur la place primordiale du terrain dans nos recherches. Comment accéder au terrain ? Comment bien faire nos recherches et rendre compte de ces expériences ?

Au cours de la licence d’anthropologie, certains sujets sont prohibés : les sectes ou tout ce qui est illégal (drogue, prostitution…). Le but est ici de nous protéger et de faire en sorte qu’on ne soit pas influencés ou manipulés. Pourtant, on ne nous prépare pas, ou très peu, à ce qu’on peut rencontrer sur nos terrains. Les sujets de recherche qu’ils soient délicats ou non, nous mettent en relation avec des personnes, des histoires et des vécus. On nous apprend une méthodologie, la différence entre objectivité et subjectivité, ainsi que la perception du sensible et de l’action lors de nos travaux anthropologiques.


Mais qu’en est-il de l’atteinte émotionnelle et psychologique que nous ne manquerons pas de rencontrer ?

En anthropologie, les émotions sont taboues. « L’émotion est à l’évidence une dimension fondamentale de l’expérience humaine » (Déchaux, 2015 : 2), pourtant les émotions qui font de nous des êtres humains sont mal vues dans les recherches en science sociale. On cherche à renier le ressenti émotionnel du chercheur au prix de l’objectivité. Pour le moment, la méthodologie ne nous aide pas dans cette démarche. Les émotions du chercheur sont donc très peu prises en compte lors de la retransmission des observations.

Ce que je cherche à démontrer ici, est la négation des sentiments humains du chercheur sur le terrain que ce soit dans la retransmission des connaissances acquises ou dans la gestion de ses propres émotions au cours des recherches. Le travail d’un chercheur n’est pas anodin. Il s’investit pleinement sur son terrain.

Ces émotions sont également niées dans l’apprentissage des sciences sociales. Le chercheur se doit de rester objectif dans sa démarche mais également de gérer les émotions et sentiments liées à son terrain. Il doit alors réussir à gérer ses ressentis, les mettre de côté et rester impartial. C’est un travail énorme pour nous, jeunes chercheurs. On doit apprendre au fur et à mesure tout en gérant l’atteinte émotionnelle et psychologique que nous rencontrons sur le terrain. Les psychologues sont formés à recevoir la parole de l’autre mais surtout suivis par un autre professionnel. Les anthropologues restent seuls face à leur terrain.


Lors de mes recherches de mémoire, je travaille sur les violences sexuelles. J’ai donc vite été confrontée à des témoignages difficiles. Nous sommes rapidement face à des émotions, les nôtres ou celles des autres.

Chacun est différent et chacun gère son terrain et la surcharge émotionnelle liée à ses recherches, Je souhaite donc partager le meilleur conseil que l’on m’ait donné : exprime-les.

Exprime ce trop plein d’émotions à l’oral ou à l’écrit. Les anthropologues adorent les carnets. Le tien deviendra ton meilleur ami.


Si tu te portes bien, ta recherche ne pourra qu’avancer dans le bon sens. Prends soin de toi. 


                                                                                                                                    Juliette Karoubi



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