Co-construction ethnographique et anthropologie visuelle - Victor Poilliot
Victor Poilliot, Étudiant en Master Socio-anthropologies appliquées au développement local, Université Lumière Lyon.
Co-construction ethnographique et anthropologie visuelle
Cet article est basé sur deux enquêtes ethnographiques durant lesquelles ont été utilisés des outils audiovisuels (appareil photo, caméra embarquée, caméscope). La première, réalisée entre octobre 2019 et décembre 2019, portait sur les rapports entre construction d’une ambiance de quartier et expérience sensible du piéton. La deuxième, réalisée entre octobre 2019 et mars 2020, se penchait sur les enjeux politiques de la labellisation du vin nature. Un court-métrage a été réalisé pour chacune des deux : Ar(t)penter2 et Buvez bien, buvez sain !3.
Dans quelle mesure les enquêtés s'approprient-t-ils les dispositifs de l’enquête ? Quelle est la place des enquêtés dans la création audiovisuelle ?
Les personnes que rencontre l’ethnographe sont communément appelées les enquêtés. Selon un schéma classique, l’ethnographe est celui qui arrive avec ses méthodes d’observation, et l’enquêté celui qui voit ses gestes, paroles et autres actes soumis au regard de l’ethnographe. L’anthropologie visuelle questionne ce partage des rôles et la production des images.
Dans Ar(t)penter, Léa (une des participantes effectuant un parcours commenté en autonomie et équipée d’une caméra embarquée) déclare : « Ce qui est intéressant c’est plus que de montrer l’humain comme il est actuellement, c’est intéressant de le montrer quand il sait qu’il est observé » (15/11/2019).
En plus de savoir que ce qu’elle fait est enregistré, Léa réfléchit le dispositif, elle l’interroge, elle le pense. Elle crée sa propre relation à l’exercice et à l’objet. À plusieurs reprises elle prend la caméra embarquée dans ses mains afin de montrer une œuvre de street-art de plus près. En marchant seule dans les rues, Léa est libre de modeler les résultats de notre enquête, autant dans la forme par sa manipulation des appareils audiovisuels, que dans le contenu en prenant du recul sur cette expérience par la réflexion sur sa propre position dans l’enquête.
Autre exemple, cette fois-ci dans le film Buvez bien, buvez sain ! : celui de Lisa Lavagne et Brice Banchet, couple de vignerons à Arlebosc (Ardèche). La seule chose que nous avions programmé durant la journée prévue avec eux était un entretien semi-directif. A notre arrivée, après quelques échanges sur notre voyage en voiture, nous leur avons laissé le choix d’organiser la journée et de nous dire ce qu’ils souhaitaient que nous filmions. Le ciel commençait à se couvrir. Afin de profiter des dernières éclaircies, ils nous ont tout de suite invités à aller filmer leurs vignes. Lorsque la pluie a pointé son nez, nous sommes allés filmer leur cave. Enfin, au moment de l’entretien, et après avoir constaté notre difficulté à fixer la caméra sur le trépied, Brice est venu nous aider à terminer la manœuvre.
Enquêtés et enquêteurs forment un groupe de participants. Le film ethnographique suit « un processus de recherche et de création partagé »4. Privilégions alors l’expression ethnographie avec, significative d’une co-construction des dispositifs de l’enquête, à ethnographie sur, où les enquêtés ne seraient que des sujets observés.
1 Étudiant en Master Socio-anthropologies appliquées au développement local, Université Lumière Lyon 2.
2 Poilliot, Victor, Paige Larsen et Sarah Guilbert. Ar(t)penter. France, Université Lumière Lyon 2, 2020. Consultable sur Viméo : https://vimeo.com/507427618
3 Poilliot, Victor, Paige Larsen, Lyvane Balay et Killiane Le Dû. Buvez bien, buvez sain !. France, Université Lumière Lyon 2, 2020. Film et résultats de l’enquête accessibles sur le site suivant : http://anthropologiescienceetsociete.fr/#2020_IPB_A
4 « Filmer/chercher aux Mureaux : rencontres et fabulations », Vacarme, vol. 87, no. 2, 2019, p. 88. Entretien avec Grégory Cohen et Manon Ott réalisé par Marion Lary, Gaëlle Rilliard et Laure Vermeersch.
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